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Colette Pétonnet. Préface pour Denis Guigo "Ethnologie des hommes des usines et des bureaux" (Archives ouvertes)

mercredi 31 août 2005

Préface à l’ouvrage de Denis Guigo
Ethnologie des hommes des usines et des bureaux

Référence de publication : « Préface 2 », Denis Guigo, Ethnologie des hommes des usines et des bureaux, Paris, L’Harmattan (Logiques de gestion), 1994, pp. 11-12.

[Préface 1, par Michel Berry - 276 p., biblio. pp. 251-274] ISBN 2738426778.


Archive ouverte oai:halshs.ccsd.cnrs.fr:halshs-00004525 – Mis en ligne 31 Août 2005


J’ai découvert Denis Guigo il y a une dizaine d’années au sein du cours que je donnais alors à l’université de Paris X Nanterre et qu’il animait d’une présence assidue à la fois discrète et vive. Cet ingénieur des mines, informaticien expérimenté, avait opéré une reconversion en ethnologie, discipline dont il suivait le cursus complet sur des thèmes classiques – son premier exercice portait sur la parenté tibétaine – et pour laquelle il achevait d’acquérir une formation rigoureuse.

Mon enseignement sur la transposition de la démarche et des outils de l’ethnologie dans les sociétés industrielles l’autorisa à se tourner résolument, et avec succès, comme en témoignent ses articles dans la revue d’anthropologie L’Homme, vers des objets centraux des sociétés modernes rarement explorés par les ethnologues. Profitant de son acquis antérieur, fort précieux en matière d’organisation industrielle, il choisit, pour son doctorat, d’étudier comparativement trois usines, fort différentes, et une mairie. L’une de ces usines est en territoire français ; les trois autres "terrains" sont situés en Argentine, pays qu’il affectionnait et dont il maîtrisait la langue. Il y passa deux années et soutint brillamment sa thèse à l’École polytechnique en décembre 1991 devant un jury mixte, reflet de sa double formation. Cet ouvrage que nous publions aujourd’hui, et qui prolonge son existence parmi nous, montre des règles insoupçonnées que les hommes inventent, qu’il s’agisse d’industrie ou de bureaucratie, en-deçà et au-delà des organigrammes officiels.

Denis Guigo appartenait à une nouvelle génération de chercheurs novateurs, rares dans sa spécialité. II alliait l’art et la méthode de l’observation ethnographique à la connaissance intégrée des modes de gestion et mettait les outils de l’ethnologie au service de la compréhension des grandes organisations dont il renouvelle ainsi le genre, d’une écriture souple et vivante qui n’épargne pas pour autant l’analyse critique d’une large bibliographie. En outre sa puissance de travail dépassait de loin celle d’un chercheur moyen.

Parallèlement à la rédaction de sa thèse il avait entrepris l’étude des services techniques urbains de la ville de Besançon dont il a eu le temps d’achever la première partie consacrée à l’eau, la voirie et les déchets. Ce thème très anthropologique, et trop souvent délaissé, est capital pour la connaissance intime des civilisations urbaines. Non seulement j’avais approuvé ce choix mais j’avais incité Denis à poursuivre dans cette voie qui lui permettait d’atteindre, au travers des techniques elles-mêmes et de leur évolution, les réalités de l’organisation municipale jusque dans ses connexions avec la société globale.

Ses axes de recherche, qui ouvrent sur un large champ d’exploration, s’intégraient parfaitement dans la réflexion collective du laboratoire d’anthropologie urbaine où il avait été accueilli bien que l’absence de poste rendît problématique son intégration au CNRS, du moins dans l’immédiat. Il y avait commencé, courageusement, et sans autre appui que l’approbation de ses aînés, une carrière qui s’avérait prometteuse. Le vide qu’il laisse parmi nous n’est pas près d’être comblé. Avec son sérieux tempéré d’humour, il animait le séminaire de sa curiosité toujours en éveil, livrant en retour ses expériences et nous enrichissant du savoir propre à sa double appartenance. Je comptais sur lui pour poursuivre, après mon départ prochain à la retraite, dans la ligne déjà tracée au sein de l’anthropologie urbaine, pour continuer à convaincre du bien fondé de la démarche ethnologique dans l’étude des organisations des sociétés industrielles, ce que Michel Berry avait d’emblée reconnu mais non pas certains ethnologues, et parce que Denis Guigo était l’instrument rare d’une collaboration fructueuse.

Je souhaite que ce livre donne à quelques-uns l’envie, ou le courage de continuer à creuser le sillon inachevé.