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Colette Pétonnet. Présentation du Laboratoire d’anthropologie urbaine (Archives ouvertes)

Inédit en ligne

dimanche 1er octobre 2006

Présentation du laboratoire d’anthropologie urbaine

par Colette Pétonnet, co-directeur du LAU (UPR34 CNRS)

Discours prononcé devant l’assemblée des personnels et des chercheurs de l’administration déléguée d’Ivry-sur-Seine, le 6 octobre 1989, dans le cadre du cinquantenaire du CNRS. [1]

En Archive ouverte sur Hal-Shs
oai:halshs.ccsd.cnrs.fr:halshs-00004486_v1
mis en ligne 23 Août 2005

Historique. A la demande de Colette Pétonnet, j’avais saisi ce texte sur mon ordinateur personnel en octobre 1989. J’avais conservé l’archive numérique (sur disquette). Lors de la création du site du Laboratoire d’anthropologie urbaine, j’avais, sur la suggestion de Colette Pétonnet, et avec l’accord de Jean-Charles Depaule alors directeur du Laboratoire d’anthropologie urbaine, mis en ligne ce texte [2].
En août 2005, j’ai déposé le texte en archives ouvertes sur Hal.
Colette étant triste que son texte ait disparu du site du LAU, je l’ai publié sur mon site personnel, avec son autorisation.

Le laboratoire que je codirige avec Jacques Gutwirth est le dernier arrivé dans cette maison. Il comporte quinze membres et a reçu le label du CNRS il y a deux ans seulement. Mais l’équipe qui s’était rassemblée autour de J. Gutwirth et de moi-même, vieux pionniers de l’ethnologie urbaine (1964), travaille depuis quatre ans et, à titre individuel, les chercheurs qui la composent depuis bien plus longtemps encore. C’est le seul laboratoire du CNRS et il n’existe ailleurs qu’une petite équipe à l’École des Hautes Etudes. C’est dire que la France a quarante ans de retard sur les Etats-Unis dans ce domaine. Cependant certains se demandent encore comment on peut être ethnologue urbain. Effectivement les villes étant douées d’un mouvement incessant et les sociétés urbaines fort hétérogènes, la position de l’observateur n’y est pas toujours confortable. Comme il est impossible de vous présenter nos travaux en dix minutes et que nous avons exposé des photos qui peuvent vous sembler, à juste titre, très disparates, j’ai choisi de vous expliquer, en l’illustrant, ce qui fonde notre démarche. Je l’expliquerai en trois points, quant au terrain, à la méthode, et à l’interprétation. Auparavant permettez moi deux préliminaires concernant les villes et nous : d’une part les villes sont généralement étudiées par d’autres disciplines, telles que la démographie, la géographie, la sociologie, l’urbanisme, etc. Ces disciplines laissent passer à travers leurs cribles une infinité de détails dont l’ethnologue aime à faire sa moisson. Il n’y a donc aucune raison pour que l’ethnologie n’apporte pas sa contribution à la connaissance des sociétés urbaines. D’autre part les concepts ne sont pas, pour nous, une base de départ mais plutôt des poteaux d’arrivée. Nous ne travaillons pas, par exemple, sur la socialité ou sur l’ethnicité ; mais l’enquête nous livrera, bien entendu des relations sociales ou des différences ethniques. Notre réflexion, notre élaboration théorique, s’exercent à partir des faits conformément à la vieille démarche classique à laquelle nous restons fidèles. Premier travail donc : collecter des faits interconnectés dans un ensemble. La ville est une organisation très complexe. Il est exclu de l’étudier dans son ensemble, bien trop vaste, surhumain. Nous allons découvrir des ensembles plus petits mais forcément urbains puisqu’il s’agit de citadins. Nous ne choisirons pas les vieux ni les adolescents. Ces classes d’âge, dispersées dans tous les milieux, sont des catégories. Nous ne choisirons pas non plus le thème des loisirs, autre type de catégorie. Mais nous nous intéressons aux vieux, aux jeunes, aux loisirs de nos gens.
Quels gens ? - J’arrive là au terrain - Qu’est-ce qui unit ou rassemble les citadins ? Quel est le ciment, l’alliage, ou l’alliance, qui composent des ensembles ?
Cela peut être l’origine ethnique comme chez les Lao de Catherine Baix, les Tsiganes de Patrick Williams, resserrés par la parenté mais dispersés dans l’espace urbain, ou une résonnance culturelle, une position dans la société qui déterminent des milieux, comme le milieu prolétarien où Claudia Fonseca a pris ma suite. Cela peut être la croyance, donc la religion que Jacques Gutwirth étudie dans les groupes judéo-chrétiens et Jeanine Fribourg dans les confréries espagnoles ; croyance en dieu mais aussi dans la magie, notamment celle des marabouts africains dont la clientèle, à Paris, est en partie française, et qui n’ont plus de secrets pour Liliane Kuczynski. Cela peut être le travail, dans les usines de Kurumi Sugita et de Denis Guigo, au Japon, en Argentine et en France. Mais aussi l’énorme entreprise de l’opéra à Bercy qu’Eliane Daphy a pris pour sujet de thèse. Un goût, une même passion, rassemblent les gens les plus divers que sont les entomologistes de Yves Delaporte. La maladie a le même résultat parfois pour Sylvie Fainzang. La circulation des choses crée une alchimie passionnante, surtout quand l’approvisionnement comporte une dimension culturelle particulière, comme dans la petite Asie du 13ème arrondissement dont Anne Raulin connaît chaque épicerie, chaque restaurant, mais aussi dans l’univers plus sec des vieux bouquins et des libraires concurrents où se complaît Didier Privat. La foule et l’anonymat s’éloignent davantage des objets classiques, mais, au cœur du phénomène urbain, ils ne peuvent nous laisser indifférents et quelques essais d’analyse de leur fonctionnement sont tentés par Daniel Terrolle et moi-même, moi dans les espaces publics et lui dans les trains.
Méthode : La transposition de la vieille méthode qui consiste à s’enfoncer comme un coin dans la population à étudier ne va pas sans soulever des problèmes dont je vous fais grâce. En ville on ne peut pas planter sa tente et rarement louer un logement. Ces problèmes font l’objet d’une réflexion collective et sont résolus cas par cas. Vous en trouverez des exemples dans notre livre Les Chemins de la Ville. Quant à l’interprétation, elle est libre, mais elle s’appuie sur le comparatisme et la mise en perspective chers à notre discipline.
Nous refusons les dichotomies, les frontières et même les limites urbaines que l’on cherche parfois à nous imposer. Il n’y a pas l’écart qu’on imagine entre les éleveurs lapons et les entomologistes. Les groupes religieux de Jacques Gutwirth se sont déplacés d’Anvers à Los Angeles où il les a suivis. Les marabouts n’empruntent pas leurs pratiques divinatoires à la seule Afrique. A Bamako ou à Porto Alegre (Brésil), les rites de possession chers à Jean-Marie Gibbal présentent bien des points communs, mais, pour une même production, les usines étudiées diffèrent ô combien ! En Espagne, les villes et les campagnes échangent leurs coutumes festives.
Les chercheurs qui travaillent au sein d’une ethnie couvrent tous les champs. Ceux qui travaillent dans un milieu soudé par une idéologie savent des fidèles tout le reste. Il leur faut ensuite replacer ces ensembles particuliers dans la société urbaine, la société globale, la civilisation industrielle, autres ensembles successivement englobants, comme des poupées gigognes.
Notre laboratoire, grâce à l’ensemble formé par les chercheurs, contient donc à peu près tous les domaines classiques de l’ethnologie : technologie, économie, parenté, croyances/fêtes, esthétique, pouvoir, hiérarchie, linguistique... Quant au rapport de l’homme avec la nature, les animaux et les plantes, moins apparent en ville, il n’est pas absent de nos préoccupations et nous venons de créer des liens avec les ethnobotanistes du Museum d’histoire naturelle qui pourraient déboucher sur un projet commun.
Le laboratoire accueille des étudiants de troisième cycle généralement invités par ceux d’entre nous qui enseignent à l’université. Ces étudiants sont peu nombreux car les professeurs hésitent à les envoyer sur des terrains réputés difficiles, où, de leur propre aveu, ils ne savent pas les guider. Cette situation est normale car c’est aux équipes du CNRS qu’il revient d’entreprendre des recherches pionnières et d’y guider les débutants.
Quelques uns de nos travaux sont exposées ici, qui ne représentent qu’une infime partie de nos publications. Le laboratoire a été représenté à Montréal, New York, Zagreb, Berlin, Stockholm et ailleurs. Et pourtant nous avons besoin de publicité pour nous imposer davantage, en France notamment. Alors si vous voulez bien nous en faire un peu, nous vous en serons très reconnaissants.



[1Fonds d’archives numériques Eliane Daphy. Article mis en ligne en archives ouvertes dans le cadre de la rétro-publication en ligne de l’œuvre de Colette Pétonnet.

[2La page a été supprimée lors du changement de maquette, après mon départ du LAU.