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Années 1980. Précaire payée par "honoraires"

dimanche 4 avril 2010, par Eliane Daphy

Années 80. Je donne des cours et des conférences, je fais des interventions dans des formations, initiales ou professionnelles. Je suis payée par "honoraires" (sans charges sociales, sans cotisation retraite ni congés payés). Je bricole des documents où je m’invente un "employeur principal" que je n’ai pas. Ce sont des "faux administratifs", je me rends coupable de « faux et usages de faux » comme me le fait souvent remarquer mon père, magistrat en droit du travail, qui s’inquiète de mes conditions de travail. Les honoraires ne comptent pas pour les indemnités chômage ; par contre, je les déclare comme revenus aux impôts. Parfois, l’employeur se rend compte que mon certificat est un faux. Il refuse de me payer ? Je n’ose rien dire, j’ai peur des poursuites judiciaires, je suis responsable d’abus de confiance.
Aujourd’hui, j’entends dire que la précarité, c’est la faute à Pécresse et à l’ANR.
Je me souviens des années 80, et je pense que mes collègues n’ont pas le sens de l’histoire.
Car ethnologues doctorants en déroute, nous étions nombreux à courir le cacheton, dans les années 80 et 90. Les syndicats refusaient de nous syndiquer, ils pensaient qu’ils ne pouvaient rien pour nous, ils ne comprenaient rien à notre situation : « vous êtes membres d’un laboratoire CNRS ? Vous n’êtes pas payés par le CNRS ? Cela n’a pas de sens ». Les associations professionnelles de la discipline nous acceptaient, à condition que nous n’évoquions pas nos difficultés ; il en était de même pour les laboratoire qui nous faisaient l’honneur de nous accepter comme "membre hors-statut" ou "chercheur CDD", nous étions fiers de voir nos publications consignées dans les rapports d’activités scientifiques des laboratoires. Nous avions une identité scientifique "membre du labo XXX du CNRS", une belle appartenance fictive qui nous aidait à survivre.
Cette situation ne me semblait pas étonnante : j’étudiais à l’époque les intermittents du spectacle, musiciens et sonorisateurs, ils vivaient les mêmes galères. Nous étions les travailleurs immigrés de l’intérieur, nous travaillons pour les ministères (Santé, Culture, Recherche, Enseignement supérieur…), pour des organismes de formation, pour des collectivités territoriales, pour les associations subventionnés par des crédits d’état. Nous étions invisibles.
Beaucoup d’entre nous ont disparu, quelques-uns sont morts, d’autres ont intégré. J’ai tenu le coup, jusqu’à mes 50 ans, où j’ai intégré sur concours le CNRS comme ingénieure d’études 2e classe. Tous mes boulots payés par honoraires ou "au noir" ne compteront pas pour ma retraite ; je vais travailler jusqu’à 65 ans, 67 ans. La perspective est la grande misère, le retour. No future.

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